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      Marilyn chez elle, mai 1953. © Alfred Eisenstaedt/Time & Life Pictures/Getty

    Marilyn, l’enfant studieuse

      

    Il était une fois Marilyn 

      Marilyn Monroe n'était pas la ravissante idiote, le “double” qu'elle avait construit, et qui, peu à peu, la déconstruisait. Elle fréquentait des intellectuels, lisait, prenait même la plume. Ses écrits, publiés près de cinquante ans après sa mort, le 5 août 1962, témoignent d'une femme

    “portée par une sensibilité lyrique et poétique”.

    Le 19/05/2012 à 00h00
    Nathalie Crom- Télérama n° 3253

     

     

     

      

    Lorsque sont parus, en 2010, les Fragments de Marilyn, jamais destinés à la publication mais conservés, depuis sa mort, par Anna Strasberg, la dernière épouse de Lee Strasberg, d'aucuns ont semblé découvrir ce fait incroyable, sidérant, que derrière l'icône platine et radieuse se cachait une tout autre femme que la blonde frivole et inconséquente à quoi ils la réduisaient. Une femme dotée d'une vie intérieure, pratiquant l'écriture à fin d'autoanalyse et de compréhension de soi. Une femme studieuse, à l'esprit curieux, qui à maintes reprises se fit prendre en photo un livre à la main – Ulysse, de James Joyce, Feuilles d'herbes, de Walt Whitman, l'œuvre poétique de Heinrich Heine... – comme s'il y avait, dans cette série d'images manifestement posées et ostensiblement répétitives, un enjeu d'importance : l'affirmation publique acharnée, voire désespérée, d'un pan de sa personnalité que ses contemporains furent peu nombreux à vouloir prendre en compte. Et ce même lorsqu'elle devint l'épouse d'Arthur Miller, qui voyait en elle « une poétesse qui essaie de réciter ses poèmes à un coin de rue devant une foule qui lui arrache ses vêtements... »

    Si elle-même s'est plu à interpréter un rôle de ravissante idiote, nombreux sont les indices indiquant qu'il s'agissait bel et bien d'un rôle de composition. Il y a les témoignages de ceux qui l'ont côtoyée – parmi lesquels des écrivains, notamment Carson McCullers, le poète Norman Rosten, qui était le plus vieil ami d'Art Miller, ou encore Truman Capote qui mit en scène sa complicité malicieuse avec Marilyn dans la nouvelle « Une enfant radieuse » (in Musique pour caméléons). Il y a aussi les travaux biographiques, tel celui, magistral, de Donald Spoto. Ou celui, de parti pris, du très misogyne Norman Mailer qui, dans ses Mémoires imaginaires de Marilyn, dresse de la star un portrait en femme capricieuse, mais tout sauf écervelée, tout sauf « le cerveau plein de trous » que moquait méchamment Billy Wilder.

     

    « [Marilyn était] à la recherche d’une
    vérité qu'elle
    savait devoir trouver
    de plus en plus dans les mots et de
    moins en moins dans les images »
    .
    Michel Schneider, écrivain et psychanalyste

     

    Autres pièces à conviction : les romanesques et intuitifs, mais diablement pénétrants, Blonde, de Joyce Carol Oates, et Marilyn dernières séances, de l'écrivain et psychanalyste Michel Schneider. Ce dernier ouvrage mêle documents et fiction pour raconter la relation complexe et dangereuse, fort peu orthodoxe, de dépendance réciproque que Marilyn noua, au cours des derniers mois de sa vie, avec Ralph Greenson, le thérapeute freudien le plus couru de Hollywood. «Peut-être Greenson a-t-il réussi à lui faire admettre l'idée que ce que l'on a à dire de soi ne passe pas seulement par un corps et un rire exhibés sur un écran, mais aussi par les mots pour dire ce que l'on ressent ? » a expliqué Michel Schneider, s'interrogeant sur le cas d'une Marilyn « à la recherche d'une vérité qu'elle savait devoir trouver de plus en plus dans les mots et de moins en moins dans les images».

    Une femme manquant certes de culture, mais intelligente. Autodidacte, consciente de ses carences, animée par la volonté d'y pallier. Tel est le portrait qui se dégage de ces témoignages et essais. Au scénariste Ben Hecht, qui devait l'aider à écrire son autobiographie, Marilyn a raconté, en 1954, comment, alors qu'elle débutait à Hollywood, elle avait pris conscience de son ignorance et, complexée par cela, décidé, pour y remédier, de s'inscrire à l'université pour y suivre des cours, en marge des tournages et de la vie des studios.

    « Il fut un moment où […] on ne me voyait
    à aucune première, à aucune réception.
    C'est simple : j'allais à l'école ! »

    Marilyn Monroe

      

    Elle l'a répété, en 1960, au journaliste français Georges Belmont, l'interviewant pour Marie Claire :

    « Il fut un moment où je commençais à être... reconnue, disons, et où les gens n'arrivaient pas à imaginer ce que je faisais quand je n'étais pas sur le plateau, parce qu'on ne me voyait à aucune première, à aucune représentation de presse, à aucune réception. C'est simple : j'allais à l'école ! Je n'avais jamais pu finir mes études, alors j'allais à l'Université de Los Angeles. Le soir. Dans la journée, je gagnais ma vie avec des petits rôles dans les films. Je suivais des cours d'histoire de littérature et d'histoire de ce pays ; je lisais beaucoup, de grands écrivains. [...] Souvent, j'étais morte de fatigue ; il m'arrivait même de m'endormir en classe. Mais je me forçais à rester droite et à écouter. »

    Elle remit finalement le projet à plus tard : « J'ai pris un engagement vis-à-vis de moi-même, expliquait-elle à Ben Hecht. Je me suis promis que, dans quelques années, quand ma situation serait un peu stabilisée, je me mettrais à apprendre, tout apprendre ! Je lirais tous les livres et découvrirais toutes les merveilles qui existaient dans le monde. »

      

    « Ce n'est pas si drôle de se connaître
    trop bien ou de penser qu'on se connaît.
    Chacun a besoin d'un peu de vanité
    pour surmonter ses échecs. »

    Marilyn Monroe

     

    Mais si la culture pouvait attendre, l'écriture, elle, fut toujours là. À vocation thérapeutique, si l'on veut, lapidaire et à usage strictement privé, intermittente, souvent – dans ses carnets, quelques pages noircies au début, et les autres demeurées blanches.

    Malgré cela, les poèmes, les extraits de cahiers intimes et les lettres, presque tous inédits, que rassemble le volume Fragments entrouvrent, avec délicatesse et pudeur, une porte sur la vie psychique de Marilyn. Et ils révèlent de façon saisissante, et souvent poignante, le mélange d'intelligence, de pugnacité, de lucidité, d'orgueil et d'extrême vulnérabilité qui constitue l'alchimie intime de cette psyché.

    Que ses écrits montrent aux prises avec un jeu turbulent de forces contradictoires qui l'animent et la bousculent : vitalité et désespoir, aspiration au bonheur et fatigue d'être soi, désir farouche d'indépendance face au regard des autres et solitude déchirante. « Ce n'est pas si drôle de se connaître trop bien ou de penser qu'on se connaît – chacun a besoin d'un peu de vanité pour surmonter ses échecs », note-t-elle dès 1943 – elle a alors 17 ans et semble s'interroger sur le bien-fondé de l'autoanalyse à laquelle elle se livre sur le papier.

     

    <p>Extrait du carnet noir Record, début des années 50. © Editions du Seuil 2010</p>

    Extrait du carnet noir Record, début des années 50. © Editions du Seuil 2010

     

    La suite la montre poursuivant, au fil des ans – le dernier texte, une lettre à Ralph Greenson, date de 1961 –, cet examen d'elle-même lucide, transpercé d'accès d'autodénigrement et d'aveux de solitude : « Seuls quelques fragments de nous toucheront un jour des fragments d'autrui – la vérité de quelqu'un n'est en réalité que ça –, la vérité de quelqu'UN. On peut seulement partager le fragment acceptable pour le savoir de l'autre, ainsi on est presque toujours seuls. »

      

    « Plus jamais une petite fille seule
    et terrorisée / Souviens-toi que tu peux
    être assise au sommet du monde
    (on ne dirait pas). »
    Marilyn Monroe

     

    L'ego en miettes, elle se sent parfois« déprimée folle ». Consigne, en 1955, ce drôle de rêve : elle subit une intervention chirurgicale, c'est Lee Strasberg, directeur de l'Actors Studio, qui lui ouvre l'abdomen, secondé par la psychanalyste new-yorkaise qui la suit alors : « Il pensait qu'il aurait trouvé là tellement de choses – plus qu'il n'avait jamais rêvé chez n'importe qui, et à la place il n'y avait absolument rien – pas la moindre chose sensible vivante humaine – la seule chose qu'on a découverte, c'était de la sciure finement coupée – comme sortie d'une vieille poupée de son... »

    Ailleurs, Marilyn écrit encore : « Pourquoi est-ce que je ressens cette torture ? Ou pourquoi est-ce que je me sens moins un être humain que les autres (toujours senti d'une certaine façon que je suis sous-humaine, pourquoi, en d'autres mots, suis-je la pire, pourquoi ?) Même physiquement j'ai toujours été sûre que quelque chose n'allait pas pour moi là – peur de dire où alors que je sais où... »

    Ce qui la tient debout, face à ces doutes, cette anxiété qui confine à la torture, ce qui construit pour elle « un petit territoire où demeurer, plutôt que les sables mouvants sur lesquels j'ai toujours été », c'est le travail, confie-t-elle, omniprésent, considéré toujours avec un infini sérieux, le souci de « discipline concentration », de « vivre correctement et productivement », de s'améliorer sans cesse – la voie, pour elle, d'un salut possible : « Plus jamais une petite fille seule et terrorisée / Souviens-toi que tu peux être assise au sommet du monde (on ne dirait pas). »

      

    Même si le métier de comédienne n'est pas, pour elle, sans rapport avec la folie :

      

    « Il y a un livre du poète Rainer Maria Rilke qui m'a beaucoup aidée, Lettres à un jeune poète. Sans lui, peut-être croirais-je par moments que je suis folle. Quand un artiste... je m'excuse, mais je considère que je suis presque une artiste, et là encore on rira sans doute ; c'est pourquoi je m'excuse... quand un artiste recherche à tout prix la vérité, il a parfois la sensation de frôler la folie. Mais ce n'est pas vraiment la folie. C'est seulement qu'on s'efforce de faire sortir ce qu'on a de plus vrai en soi-même ; et croyez-moi, c'est dur. Il y a des jours où l'on se dit : sois vraie, c'est tout ! et ça ne sort pas. Et d'autres jours, c'est si simple ! » expliquait-elle à Georges Belmont.

     

     

    « Je sais que je ne serai jamais heureuse,
    mais je peux être gaie ! […] Est-ce Milton qui a écrit :
    “Les gens heureux ne sont jamais nés” ? »
     

      

      

    Dans Fragments, on ne trouve nulle confession fracassante sur la vie privée de Marilyn Monroe, pas plus que la révélation d'une Marilyn qu'on pourrait qualifier d'écrivain ou de poète. Arthur Miller la définissait comme « portée par une sensibilité lyrique et poétique que peu de gens parviennent à conserver au-delà du début de l'adolescence », et il y a dans ce jugement une vraie justesse.

      

    Cela n'enlève rien à l'intérêt réel de ses textes, à l'émotion qu'ils procurent, née de cette grâce authentique que soulignait Miller.

     

     

    « Je sais que je ne serai jamais heureuse, mais je peux être gaie ! Vous vous souvenez que je vous ai dit que Kazan prétendait que j'étais la fille la plus gaie qu'il ait connue, et il en a connu ! [...] Est-ce Milton qui a écrit : “Les gens heureux ne sont jamais nés” ? » confiait-elle à Ralph Greenson. L'aveu d'une femme qui ne connut jamais l'apaisement, ni même cette sérénité tragique que Flannery O'Connor appelait « l'habitude d'être ».

     

     

     

    http://www.telerama.fr/cinema/marilyn-l-enfant-studieuse,84715.php

     

     

     

     

     

     

     

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